Autrice malienne vivant à Bamako, Salimata Togora a écrit plusieurs pièces de théâtre.

Scène 1

Alti

(Alti, une comédienne, répète. Elle joue Sitan, une femme mariée. Le texte imprimé en main.)

Je trime de 5h à 00h pour oublier les coups, les absences, le manque et la solitude. De 5h à 00h, j’erre, je travaille, je prépare, je cours, je couds, j’écoute, je cuisine, j’écure, je lave, je repasse, je soigne, je saute, je gambade, je balaie, je bricole, j’allaite, je le sers, je bondis, je rebondis…pour oublier demain. Ama et Alima, mes petits, je les nourris, les habille et les aime seule.
Je ne lâche rien ! J’ai la persévérance, la tempérance et la résilience.

Ces nuits longues où l’absence et le silence deviennent des confidents attentifs
Ces nuits fades où les songes, les seuls ombres du soir tiennent l’esprit loin de l’abime
Ces nuits où on chante son sort et qu’ils rient et se moquent, ces nuits-là ne sont plus.

Je ne pense plus au vide qui me dévore, ni aux brulures des ceintures qui labourent mon dos fatigué.
Je n’entends plus les inquiétudes de Mâ ni les railleries de l’autre.
Je suis aveugle aux regards mécontents de belle-mère quand la viande n’est pas cuite ; sourde, à la voix inquiète du gynécologue quand il m’apprend que je suis enceinte.

Je ne suis pas n’importe qui,
Je suis une mère consciente de son devoir de sacrifice.

Je lui disais, sans oser lui dire.
Je lui disais : Aime-moi, touche-moi, caresse-moi.
Je lui disais sans oser lui dire, je lui disais : arrête de me meurtrir, j’ai un cœur qui bat et un corps qui sent.
Je lui disais sans oser lui dire, je lui disais : Regarde-moi, je suis vivante, respecte-moi, je le mérite, aimez-moi, je suis ton épouse.
Mais rien, il n’entendait jamais rien.
Et un jour, il a osé toucher à mes petits.
Crois-tu que mon silence soit de la reddition ?

S’il est vrai que mes seins ils ont tété, que de mon de ventre ils sont sortis, dans la douleur d’une soumission totale. S’il est vrai que jamais aucun autre homme à part leur père n’a vu un pan de ma cuisse. S’il est vrai que j’ai écouté père et mère et obéi à beau-père et belle-mère , mes enfants seront sauvés.

Mère me chasse quand je reviens à la maison !
Mère me chasse lorsqu’en femme indigne je déserte le foyer ! Mère dit qu’un mariage n’est pas une plaisanterie ! Qu’une épouse se doit de supporter son sort, qu’il en va ainsi de la baraka des enfants.
J’ai dit à mère qu’il m’a uriné dessus. Mère m’a répondu que quand cela se reproduisait de me baigner avec sa pisse. Une bénédiction faite de crachats, de pisse et de coups est une bénédiction chère à Dieu.

Mère dit d’étouffer mes pleurs pour ne pas importuner le voisinage ; de voiler mon visage, pour épargner les honnêtes gens de la vue de ses citatrices. Cela préserve ma dignité d’épouse.
Voilà ce que dit mère.

Mâ ne peut aimer ses enfants qu’à travers le regard de l’autre. Le jugement d’un inconnu vaut mieux que l’amour d’un enfant imparfait. Mais je ne suis pas Mâ.

(Alti s’arrête de jouer, lit un moment son texte et reprend, d’une autre manière. Elle s’arrête de temps en temps comme si elle attendait quelqu’un)

Etouffer ses pleurs pour ne pas importuner le voisinage ; voiler son visage, pour épargner les honnêtes gens de la vue de ses citatrices. Cela préserve ma dignité d’épouse.
Voilà ce que dit mère. Mais je ne suis pas Mâ.
Mâ ne peut aimer ses enfants qu’à travers le regard de l’autre. Mes enfants seront sauvés.

(Alti s’arrête et s’assoit)

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Un article politique de Salimata Togora paru sur maliactu.net en juin 2021.

Salimata Togora

Salimata Togora

Salimata Togora vit à Bamako. Elle a fait des études de mathématiques. Elle écrit des pièces de théâtre, des nouvelles et des poèmes. Elle se bat pour la cause des femmes et publie des articles sur la politique au Mali.

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