Ps 133 Mets de l’huile

1 Chant des degrés de David. Voici ! Quel bien et quelle douceur, quand les frères demeurent unis.

2 C’est comme la bonne huile sur la tête, qui coule sur la barbe d’Aaron, qui coule tout au long de sa tunique.

3 C’est comme la rosée du Hermon qui descend sur les montagnes de Sion ; car là, YHWH appelle la bénédiction, la vie pour l’éternité.

On l’a remarqué avec le ps 131, la brièveté a pour corollaire l’absence de démonstration, d’argumentation. Le texte choisit le mode du simple constat. Un choix lisible ici dans le mot initial. Voici = « allô vous m’écoutez ? Je voudrais dire juste un petit truc. » Mais avec la brièveté, le risque esthétique est la platitude, le schématique, l’abstraction. Le ps 131 le contournait par une image simple, apte à l’accroche affective.

C’est encore ici une image empreinte d’affectivité, une photo de famille. « Aaron, mets-toi bien derrière Moïse. Pardon ? Ah tu as l’habitude … On y est ? Voici ! Quel bien et quelle douceur, quand les frères demeurent unis. »

Une photo, et même un cliché. Oui les filles moi aussi : tes frères unis, et tes sœurs ? On s’est demandé si l’auteur du ps 131 n’était pas femme, ici : une mère parlant à ses fils ? Le quand du v.1 sent un peu son : OK Esaü, tu en veux à ton frère, mais n’en fais pas un fromage, allez, finis tes lentilles (Gen 27).

À propos de cuisine et de droit d’aînesse, l’huile qui coule au v.2 évoque bien sûr l’onction messianique (en hébreu messiah = l’oint, sur qui a coulé l’huile de la bénédiction).

L’unité de la fratrie appelle ainsi à une autre plus large, celle qui cimente la communauté, le peuple dans son ensemble. Le v.3 enfin inscrit ce peuple dans un lieu, avec la mention du mont Hermon et des collines de Sion.

Et là une fois de plus l’interprétation est un sport à risque. On peut y lire la justification d’un nationalisme étriqué et facteur d’exclusion. C’est ce que font certains, fétichistes de la terre, fondamentalistes meurtriers de la puissance de vie que porte la parole. (Des fétichistes de la terre et de la nation, il y en a qui sévissent aussi en bien d’autres pays qu’Israël, faut-il le préciser).

Ce psaume dans sa brièveté révèle donc tout l’enjeu de la promesse biblique. De là, il incite à poser la question cruciale pour la survie de l’humanité. La fraternité, est-ce un truc qui s’arrête aux frontières du clan, de l’ethnie, de la nation, de la secte religieuse ou idéologique ? N’est-elle pas plutôt ce qui relie toute l’espèce humaine partageant la même planète d’accueil, sa seule et unique terre d’asile ?

D’où l’enchaînement logique avec le ps qui suit :

Ps 134 Dans la maison monde

1 Chant des degrés. Voici, bénissez YHWH, vous tous, serviteurs de YHWH, qui vous tenez dans la maison de YHWH pendant les nuits !

2 Élevez vos mains vers la sainteté, et bénissez YHWH !

3 Que YHWH te bénisse de Sion, lui qui fait le ciel et la terre !

Si l’on se représente les gestes décrits, on est gratifié d’un moment vraiment esthétique. Les serviteurs de YHWH lèvent les mains vers lui. Lui, en sens inverse, tend les siennes vers eux pour les bénir. Voilà qui évoque l’inoubliable image de la création d’Adam dans la chapelle Sixtine.

Comme on l’a lu dans les autres psaumes, la relation de l’être humain à YHWH se joue dans la distance qui les unit/sépare, plus ou moins grande selon les circonstances et leurs positionnements respectifs. La distance où a lieu l’attente, où naît le désir.

Un lieu-distance occupé ici par les serviteurs de YHWH. Qui sont-ils ? (elles ?) (je rigole). Dans l’optique boutique religieuse on peut penser à des prêtres, des fonctionnaires du culte. Surtout pour ce psaume des montées, dans le cadre d’une célébration.

Mettons, mais avec quelle fonction précise ? Qui vous tenez dans la maison de YHWH pendant les nuits. Ce sont des veilleurs. Fonction déjà rencontrée dans notre parcours (ps 121 et 127), avec la différence (de taille) que le veilleur y était YHWH. Se tenir la nuit dans la maison de YHWH ne serait donc pas tant (ou pas du tout) veiller pour YHWH, accomplir une obligation rituelle de louange (louange obligatoire : oxymore, non ?).

Il s’agirait plutôt de veiller en YHWH, autrement dit tenir bon dans l’espace d’être soi qu’ouvre la prononciation du Nom (cf 3). Cela non seulement quand il fait jour, qu’on y voit clair, mais aussi dans les nuits. Quant à bénir YHWH, est-ce en dire du bien ? Ou est-ce bien le dire, bien prononcer le nom, pas à faux ? Et ainsi bien se prononcer dans le nom ?

Le verset conclusif est encore un verset-dynamite, à ne manipuler qu’avec précaution. Si YHWH bénit depuis Sion, est-ce parce que c’est son chez-lui-rien-qu’à-lui ? Pour le bonheur et la paix de tous, excluons cette interprétation qui l’enrôle dans un nationalisme source d’exclusion. Lui qui fait le ciel et la terre n’est ni plus ni moins à Sion qu’ailleurs.

De n’importe où il peut bénir, et n’importe où qu’on soit on peut choisir d’en être béni (ou ne pas s’en soucier).

Ps 117 Son amour l’emporte

1 Louez YHWH, toutes les nations, célébrez-le, tous les peuples !

2 Car son amour l’emporte sur nous, et la vérité de YHWH est éternelle. Louez Yah !

Son amour l’emporte sur nous, curieuse formule. Elle m’évoque la phrase de Spinoza :

« Qui s’emploie à triompher de la haine par l’amour combat tout joyeux et sans inquiétude tient tête avec autant de facilité à plusieurs hommes qu’à un seul, et n’a pas le moins du monde besoin du secours de la fortune. Et ceux qu’il vainc perdent joyeux, non pas certes d’avoir perdu leurs forces, mais d’en avoir gagné. » (Ethique partie 4 scolie prop 46)

Il ose, hein? Quand on lit Spinoza on ne peut s’empêcher de paraphraser le mot de Mark Twain (?) Le christianisme est une bonne religion qu’on n’a jamais vraiment essayée.

L’humanité est une bonne idée qu’on n’a jamais vraiment essayée.

Bref comment comprendre la formule du psaume, où le mot employé (hased), qu’on traduit par amour ou grâce, rend compte de l’inconditionnalité de l’amour. S’il y a un parce que, il est du style parce que c’était lui, parce que c’était moi. Lutter par l’amour est briser une frontière, pas n’importe laquelle. C’est briser la mère des frontières, celle qui s’établit entre un nous et un eux. Et souvent d’autant plus rigide et barbelée que nous et eux sont proches et semblables (narcissisme des petites différences, le plus ravageur, dit Freud).

La vérité de YHWH ? L’universalité. Attention pas un impérialisme, un totalitarisme. Toutes les nations, tous les peuples. Ensemble et chacun soi. Une unité qui ne soit pas confusion. Hors de ce « nous tous » à préférer au « nous contre eux », pas de louange sincère à un dieu quel qu’on le conçoive, et surtout, pas d’amour sincère de l’humanité, en soi et dans les autres. Oui : pas simple et encore moins facile.

« Mais tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare » (dernière phrase de l’Éthique).

Bref c’était une sacrée bonne idée les psaumes courts pour finir, non ?

Conclusion : il y a beaucoup de problèmes éthiques, mais peut être autant de solutions esthétiques.

Image par falco de Pixabay

Un Commentaire

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Indiscutablement une bonne idée!! Et le reste du parcours aussi.
    Mais il y a un tel passif depuis Caïn, et ça continue à qui mieux mieux ! On voudrait que les solutions esth- éthiques convainquent assez les frères et soeurs encore très virtuels pour prévaloir !

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