« Montrer de la colère ou de la haine dans ses paroles ou ses traits est inutile, dangereux, imprudent, ridicule, vulgaire.»

Schopenhauer (Aphorismes sur la sagesse dans la vie)

Faites ce que je dis mais pas ce que je fais, Hegel en est témoin. Et il est loin d’être le seul. Colère, haine, peut être pas, mais en tout cas Schopenhauer est du style à balancer des mégatonnes d’ironie dans ses phrases missiles.

Et les cibles ne manquent pas. Y en a pour tout le monde : dans ses écrits un festival d’invectives qui évoque Nietzsche*, nourri de Schopenhauer comme on sait.

Un incontournable : les femmes. Ève en fut réduite au pagne en feuilles de figuier, mais nous ses filles on peut remercier Arthur pour la garde robe.

« juvéniles, futiles et bornées (…) une sorte d’intermédiaire entre l’enfant et l’homme. »

« Que peut-on attendre de la part des femmes, si l’on réfléchit que, dans le monde entier, ce sexe n’a pu produire un seul esprit véritablement grand, ni une œuvre complète originale dans les beaux-arts, ni en quoi que ce soit un seul ouvrage d’une valeur durable. »

(Parerga et paralipomena)

D’un autre côté les femmes sont vengées par ceci :

« On peut voir, comme symptôme extérieur de la grossièreté triomphante, la compagne habituelle de celle-ci : la longue barbe ; cet attribut sexuel au milieu du visage indique que l’on préfère à l’humanité la masculinité commune aux hommes et aux animaux. On veut avant tout un homme, et seulement après un être humain.

La suppression de la barbe, à toutes les époques et dans tous les pays hautement civilisés, est née du sentiment légitime opposé : celui de constituer avant tout un être humain in abstracto, sans tenir compte de la différence animale de sexe.

La longueur de la barbe a toujours, au contraire, marché de pair avec la barbarie, que son seul nom rappelle. » (P&P)

(D’une troublante actualité, non ?)

Ou encore ce trait joliment cinglant balancé à Napoléon (forcément, une idole de Hegel).

« Tout faible garçon qui, par de petites méchancetés, se procure un mince avantage au détriment des autres, si peu grave que soit ce détriment, est aussi méchant que Bonaparte. » (P&P)

Cependant il me semble que, comme chez Nietzsche, l’insulte dessine en creux les valeurs que l’insulté bafoue. En un sens elle témoigne, mieux que l’indifférence, d’une foi en l’amélioration de l’humanité, d’une ardeur, d’un désir.

Avec un soupçon de bienveillance, cette pratique rejoindrait ce que Carlo Strenger nomme le dédain civilisé. Attaquer sans pitié paroles ou actes que l’on considère comme négatifs et dangereux pour le corps social, mais sans disqualifier les personnes.

Ouvrir une porte à un au-delà de la bêtise ou de la méchanceté, mais qui ne serait pas interdite aux méchants cons eux-mêmes.

Mais aussi bien je pense cela par pure naïveté d’une intermédiaire entre l’enfant et l’homme ?

*cf par exemple le jouissif chapitre Des vertueux dans Ainsi parlait Zarathoustra

Image par elizadiamonds de Pixabay

9 Commentaires

  • Sophie Chambon dit :

    Encore une fois, merci Ariane de nous aider à mieux comprendre ce Schopenhauer qui apparaît peu aimable et que fort adroitement tu tentes d’ aider en le nommant Arthur S. Et puis ta démonstration est imparable et ….indulgente.
    La classe…
    Cette colère sans haine, précises-tu, accompagnée d’une ironie implacable, ne la partageons-nous pas très souvent? En tous les cas, je me reconnais bien dans cette fâcheuse attitude et je me souviens d’un collègue philosophe spinoziste qui essayait de me démontrer l’inutilité de ces sorties « hystériques », ces colères en m’exhortant de « déplier » tout ça …. évidemment !

    Juste un point d’interrogation : NAPOLÉON était il méchant ?

    • Ariane Beth dit :

      Merci à toit de ta lecture attentive, chère Sophie. Ben oui je suis portée à l’indulgence envers ce pauvre Arthur, sa fragilité (ce qu’en tous cas je ressens comme telle) m’attendrit, et son esprit me réjouit.
      Quant à ta question sur Napo, porte-t-elle sur la méchanceté du petit garçon ou de l’empereur ? Perso je dirais : les deux furent méchants. Dès le début sans doute, Bonaparte perça sous Napoléon.
      Outre Arthur, une certaine Germaine ne lui a pas fait de cadeaux.

      « Bonaparte a dit de lui-même avec qu’il savait jouer à merveille de l’instrument du pouvoir (…) Son plan, pour parvenir à dominer la France, se fonda sur trois bases principales : contenter le intérêts des hommes aux dépens de leurs vertus, dépraver l’opinion par des sophismes et donner à la nation pour but la guerre au lieu de la liberté ».

      « Le triomphe de Bonaparte, en Europe comme en France, reposait tout entier sur une grande équivoque (…) Les peuples s’obstinaient à le considérer comme le défenseur de leurs droits, dans le moment où il en était le plus grand ennemi. » Germaine de Staël (Considérations sur les principaux événements de la révolution française)

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    L’aveuglant mépris qui apparaît chez nombre de philosophes du passé à l’égard des femmes me met mal à l’aise, et ne me paraît pas anecdotique. Il me semble en effet mettre en question leur capacité à comprendre le monde et les êtres, leur lucidité en somme, mettre en question au fond l’intérêt de la philosophie (ce que je trouve tout à fait malheureux). Sur ce sujet, leur pensée se situe souvent au même niveau que les blagues sur les blondes. Je me souviens d’avoir vu jadis à la télévision le subtil et fin Jankélévitch bougonner une réponse de ce tabac-là à une intellectuelle qui le contredisait. Ariane, sais-tu ce que l’abscons (mais pas toujours, cf son cours d’esthétique) et profond Hegel dit des femmes ?

  • Ariane Beth dit :

    Ah oui, bien vu : ce mépris quasi inconscient signe une incapacité à penser, vraiment, justement. Je ne l’aurais pas formulé avec autant de netteté mais je ressens ce malaise en lisant la plupart, et déjà chez le Socrate de Platon. D’où vient cette incapacité à dépasser le préjugé phallocentriste ? Qui perdure largement, me semble-t-il, même dans les discours politically correct d’aujourd’hui, et qui se décèle à des attitudes comme celle que tu cites, à des lapsus, et surtout à la façon que la plupart ont de considérer que la lumière médiatique comme les places universitaires sont évidemment pour eux.
    Ce qui dévoie la philosophie (comme beaucoup de choses) c’est le culte de l’abstraction et la rigidité, deux choses auxquelles échappe devine qui ? Pour sa considération des femmes voir son magnifique « Sur des vers de Virgile » (Essais III, 5)

    Pour Hegel aucune idée de ce qu’il dit des femmes. Je crains qu’il ne leur fasse pas grande place dans sa conception de l’Esprit, mais bon comme je l’ai très peu lu (manque de masochisme, qualité féminine pourtant si l’on en croit Freud …). En fait je n’ai trouvé intéressante que la relecture psychanalytique de sa dialectique du maître et de l’esclave que fait Lacan (via le cours de Kojève). Donc en fait chez Hegel c’est Lacan qui m’intéresse. (Pas vraiment un féministe non plus, mais bon).
    Bref relisons, entre autres, la grande Simone de Beauvoir notre mère à toutes (et tous ?)

    • Laure-Anne dit :

      Le cher Montaigne n’était pas non plus un parangon de féminisme . Moi je vois les choses un peu de côté: oui il y a une incapacité à penser, connectée avec le contexte d’oppression sociale. La question ne se pose pas, et on maintient les conditions qui tendent à faire des femmes des gourdes, cf la caricature arnolphienne. Si on rêve d’un progrès de l’esprit, ou du moins une initiation de l’esprit, c’est de la levée progressive des voiles ou des écailles aux yeux.
      Mais moi je suis agacée par le politiquement correct, les quotas à tout prix qui ne sont que poudre aux yeux : donnez les moyens aux femmes de faire des carrières en ouvrant des crèches et en éduquant, y compris à l’école, genre leçons de choses, leurs futurs compagnons à partager les corvées, et la charge mentale, et les quotas seront inutiles.
      Il y a un débat à créer dans la nuance : va-t-on arrêter de lire tous les auteurs sexistes comme tous ceux de leur temps, les auteurs antiques parce qu’ils avaient tous des esclaves?? ( je sors d’un échange avec de jeunes collègues scandalisées que Claudel et Molière soient au programme de l’option, et qui voulaient une femme à la place de Claudel. Pas de réponse quand je leur ai demandé quelle femme pas de réponse, n’importe laquelle semblait faire l’affaire…et là j’ai les boules… non quelqu’une qui vaille la peine de faire s’échiner des ados, leur voix leur vie sur une langue et du sens…un nom,svp et pas une femme par revendication… bref …

      • Pierre Hélène-Scande dit :

        Tout à fait d’accord avec toi L-A pour dire qu’il ne s’agit pas de refaire le passé mais de bâtir l’avenir. Mais, la discrimination positive semble être efficace si elle est prise comme un enjeu pour la société et pour la politique. Mais si cette efficacité est réelle, elle est limitée.

        Je m’en rapporte à ce que dit Piketty sur la lutte contre les inégalités sociales en Inde commencée dans les années 1950 (cf Capital et Idéologie, p.p. 416-420). Piketty observe qu’à la suite de l’Inde, 77 pays utilisent des systèmes de quotas pour accroître la représentation des femmes au sein de leurs assemblées législatives (p. 424).

        Cela contribue à faire accepter l’idée que les tâches regardées comme masculines peuvent être faites aussi bien-aussi mal par des femmes que par des hommes. (Et d’ailleurs qu’est-ce qui caractérise une tâche masculine? Qu’assez souvent celui qui l’accomplit n’a pas assez réfléchi ?)

  • l'heveder jacqueline dit :

    Enfin nous décryptons quelques schémas du mal qui entoure les femmes..

  • Ariane Beth dit :

    Pour les quotas, je suis totalement d’accord avec toi, Laure-Anne : c’est un alibi , et je trouve ça humiliant. La question, oui, est celle des moyens les plus concrets dans le quotidien, de débarrasser les femmes (et jeunes filles dans certains cas) du non-partage des tâches « d’entretien de la vie » (comme dit Maman Simone). Ce qui leur permettrait d’accéder naturellement aux places sociales que leur vaudront sans peine leurs aptitudes. Il y a aussi une question, plus directement sociale, derrière celle-ci : les femmes qui « réussissent », qui simplement accèdent à la place qu’elles veulent (où peut être faire évoluer la société vers plus de justice et donc d’efficacité) le font souvent moyennant le travail ancillaire d’autres femmes, de milieux modestes. Qui auraient pu elles aussi accéder à un mode de vie plus épanouissant si leurs pères, maris, frères etc . etc.
    Quant à mon cher Monsieur des Essais, oui, il n’est pas toujours exempt des préjugés de son époque (enfin de toutes les époques). En revanche il échappe à ce rapport (aussi obscène que violent) d’attraction-répulsion envers le sexe féminin, qui fait les misogynes purs et durs (en particulier chez les religieux de tout poil).

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