En bonne justice, on ne peut qu’écarter le prétendu droit du plus fort vu que précisément il n’en est pas un, pose Rousseau (DCS I,3).

Ainsi restent les conventions (contrats, accords formalisés) pour base de toute autorité légitime parmi les hommes. Méthodique, il part de la convention la plus inégalitaire possible, le droit d’esclavage. Pour un pays, c’est le cas de la soumission à un despote.

(Perso je vois pas la différence avec le non-droit du plus fort, mais qui suis-je pour contester JJ ?)

« On dira que le despote assure à ses sujets la tranquillité civile. Soit ; mais qu’y gagnent-ils si les guerres que son ambition leur attire, si son insatiable avidité, si les vexations de son ministère les désolent plus que ne feraient leurs dissensions ? » (DCS I,4 De l’esclavage)

Ajoutons qu’en assujettissant tout le monde à son bon plaisir, le despote ne fait que mettre un couvercle sur la cocotte-minute des dissensions. Qui se redéploieront à la première fissure du couvercle.*

Pour l’esclavage proprement dit, en faire une convention signe l’aliénation absolue, à tous les sens du terme.

« Soit d’un homme à un homme, soit d’un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé. ‘Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j’observerai tant qu’il me plaira, et que tu observeras tant qu’il me plaira’ ».

Si donc un peuple adhérait de son plein gré à une telle convention, c’est supposer un peuple de fous.

Supposition pas si fantasmatique hélas, si l’on se souvient des serments d’allégeance de milliers d’individus à Hitler, Staline, et autres aliéneurs en chef. Radicale abdication volontaire d’autonomie, non seulement autonomie d’action, mais de pensée.

Aujourd’hui un tel embrigadement dans un délire de masse se voit par exemple dans l’idéologie islamiste. Combinaison de vieilleries médiévales et de hightech tellement improbable pourtant, qui ferait rire si elle n’était aussi ravageuse.

Mais question : sommes-nous sûrs, citoyens en démocraties, même exempts de telles folies, d’être totalement dans notre bon sens ?

Nos ancêtres furent chair à canon pour les guerres d’anciens despotes. Mais rarement dans l’adhésion, le consentement intime.

Aujourd’hui c’est de nous-mêmes que nous nous offrons comme chair à algorithme dans la guerre commerciale généralisée. Comportements, goûts, opinions, désirs, de tout cela les gaftam (ne pas oublier twitter qui mérite sa place dans les têtes de l’hydre**) font bon marché dans l’absurde concurrence qui est le maître-mot, le mot-despote de notre monde.

Nous le voyons, nous le savons. Pourtant nous restons volontaires pour cette servitude toute à notre charge et toute à leur profit.

Les gaftam sont d’une indifférence cynique envers les dégâts démocratiques  et anthropologiques*** qu’induit leur mode de fonctionnement mercantilo-algorithmique : nous le savons et l’acceptons. Réseaux « sociaux », vraiment ?

« Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société. » (I,5 Qu’il faut toujours remonter à une première convention)

*exemples récents l’explosion des guerres ethniques d’ex-Yougoslavie après 1991, le chaos irakien après 2003.

**cf J’ai vu naître le monstre (Samuel Laurent Les Arènes 2021)

***cf La civilisation du poisson rouge (Bruno Patino chercher)

Apocalypse cognitive (Gérald Bronner PUF 2021)

La société du sans contact (François Saltiel Flammarion 2020)

Image par Gerd Altmann de Pixabay

2 Commentaires

  • Laure-Anne FB dit :

    Voici que je reprends le fil des Raisons, un peu en binge-reading..
    Eh oui ! Où il est question encore et toujours « de la servitude volontaire », ouvrage concis et limpide qui hélas n’a pas pris une ride chez JJR ni chez nous.
    Et nous-mêmes ne sommes pas sur l’écran pour Fragile, tout alternatif que soit le site, dont l’algorithme de publication n’échappe pas à la loi commune et nous signale en voyant rouge que nos phrases sont trop longues ? et quand j’y croise (jamais sous votre plume, madame, je le dis), un article qui milite et assène sans démontrer, plein de « on doit » et « il faut » et qui me laisse lasse, silencieuse, et je l’avoue, paresseuse, (en vertu de la loi selon laquelle démonter rationnellement des affirmations partisanes faussement argumentatives prend mille fois plus de temps et d’énergie que de les proférer) je me dis que rien n’est épargné par l’esprit twitter, et me vois tentée de tirer l’échelle et de me faire un potager à la Hong.

    • Ariane Beth dit :

      La loi selon laquelle démonter rationnellement des affirmations biaisées (par niaiserie ou mauvais esprit on ne sait souvent décider lequel des deux) prend un temps fou et une énergie telle que plus plus d’un(e) en sort essoré : hélas en effet, ma chère. C’est entre autres l’expérience de Samuel Laurent , dont je cite le livre dans cet article*. Fact-checker (as you say in french) au Monde il a été en proie à un violent burn-out dû aussi bien à la tâche sisyphienne qu’à la violence de courageux anonymes qui le pourrissaient sur les résasociaux.
      Et pour ma part je le confesse si je n’avais pas écrit cette lecture du Contrat il y a quelque temps, je n’aurais pas eu le courage de m’y mettre aujourd’hui. Et pour tout dire je vois venir la future campagne électorale avec encore plus de stupeur que de tremblement …
      Mais bon que tout ceci ne vous décourage pas, amie, d’en lire la suite …

      *by the way, le livre de Patino, que j’ai laissé par mégarde affublé de mon « chercher » de brouillon, a été publié par Grasset en 2019.

Laisser un Commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.