Avec Autres évaluations de la vie psychique collective (Psychologie des foules et analyse du moi chap.3), Freud rapproche l’analyse de Le Bon de celle d’un dénommé Sighele aux alentours de 1910, et surtout de The Group Mind publié par Mc Dougall en 1920.

Il a commencé sa réflexion sur l’organisation des sociétés avec Totem et Tabou (1912). Ce livre s’appuie sur une bibliographie considérable, constituée en grande part d’ouvrages contemporains. Car Sigmund un n’est pas du genre à bricoler, et deux est à l’affût de toute pensée nouvelle. Penseur obsessionnel, capable de tracer son sillon pendant des années dans une thématique qui lui tient à cœur. Telle celle-ci qu’il ne lâchera pas, de Totem et Tabou donc, jusqu’à L’homme Moïse et le monothéisme (1938).

Il tire de ces lectures d’abord une évidence : « On a vraisemblablement réuni sous le terme de ‘foule’ des formations très différentes qui ont besoin d’être distinguées. » 

Le Bon parle des foules éphémères, dont la « peinture lui est inspirée par les caractères des foules révolutionnaires, en particulier de la grande Révolution française. » Mc Dougall étudie le passage de la foule comme agrégat (crowd) à la foule organisée en groupe, notant les « conditions nécessaires pour que s’élève à un niveau supérieur la vie psychique de la foule. » Autrement dit les conditions à même de canaliser le côté primaire (cf 4) de l’individu enfoulé, et d’organiser la vie psychique de la foule. Il en compte cinq.

« La première condition fondamentale est un certain degré de continuité dans la composition de la foule (qui) peut être matérielle ou formelle ; matérielle quand les mêmes personnes demeurent en foule un temps assez long ; formelle quand à l’intérieur de la foule s’instaurent des positions déterminées assignées à des personnes qui se relaient. »

Dans la pratique historique, la continuité matérielle est celle des moments fondateurs, et la continuité formelle l’apanage des institutions qui en émergent. Passage de députés rassemblés dans la salle du Jeu de Paume à la structure de l’état jacobin. De disciples regroupés dans une salle après la mort de leur rabbi à la multinationale église catholique.

« La deuxième est que se soit formée en chaque individu de la foule une représentation déterminée de la nature, de la fonction, des réalisations et des exigences de la foule, de sorte qu’il en résulte pour lui un rapport affectif à l’ensemble de la foule. »

Rôle-clé d’idéologies, de récits, à la fois pour structurer la pensée et stimuler le moteur affectif de l’action.

« La troisième est que la foule soit mise en rapport avec d’autres formations de foules semblables à elle, mais pourtant s’écartant d’elle sur plusieurs points, et que, par exemple, elle rivalise avec celle-ci. La quatrième est que la foule possède des traditions, des coutumes et des institutions, en particulier de celles qui concernent les relations réciproques de ses membres. La cinquième est qu’il y ait dans la foule une organisation qui s’exprime dans la spécialisation et la différenciation de l’activité qui échoit à l’individu. »

Ici se dessine le portrait-robot des foules partis, religions, clans, nations : besoin d’autres foules posées en miroir, dans un schéma antagonique. Transmission culturelle fondant et assurant la hiérarchisation de la structure.

Freud conclut « il s’agit de doter la foule des propriétés-mêmes qui étaient caractéristiques de l’individu et qui s’effacèrent chez lui du fait de la formation en foule. »

Un premier enfoulement déstructure l’individu, un second le reconfigure. Petit hic : dans l’opération l’individu perd son originalité et se coule dans un moule. Les traits de son visage sont redessinés selon un portrait-robot.

image par David Mark (Pixabay)

2 Commentaires

  • Laure-Anne FB dit :

    Très clair mais pas très encourageant…Freud soigne ses individus patients et attriste la foule de ses lecteurs…
    Rien que d’envisager la réalité que cela recouvre, ça fait frissonner, surtout cet indéfectible besoin d’ennemis.

    • Ariane dit :

      C’est vrai ce n’est pas réjouissant. Freud fait dans la lucidité, donc dans le pessimisme. Mais il est convaincu (du moins a tenté de se convaincre toute sa vie) que l’accès à la lucidité, le fait de regarder la réalité en face, pouvait amener à la modifier en mieux.
      Le lien entre la vision individualiste et sociétale, c’est l’idée que l’analyse, en libérant de la névrose personnelle (en la diminuant, c’est déjà pas mal), permet une meilleure aptitude au lien à l’autre, donc à une bonne construction sociale (c’est tout le propos de « Malaise dans la culture »).
      Sacrément optimiste, hein, ce cher Papa Freud …

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