Poursuivant l’analyse des foules selon le paramètre libidinal, Freud remarque que les individus en foule semblent échapper à un caractère essentiel du lien, qu’il nomme ambivalence.

« Selon le témoignage de la psychanalyse, presque tout rapport affectif intime de quelque durée entre deux personnes – relation conjugale, amicale, parentale et filiale – contient un fond de sentiments négatifs et hostiles, qui n’échappe à la perception que par suite du refoulement. »

(Psychologie des foules et analyse du moi chap.6 Autres problèmes et orientations de travail)

Il rapporte ces sentiments négatifs, inclus dans la positivité de la libido, à la prévalence du narcissisme, lien de soi à soi, sur tout lien à autrui.

L’ambivalence est particulièrement sensible dans le « narcissisme des petites différences.

L’Allemand du Sud ne peut pas sentir l’Allemand du Nord, l’Anglais dit tout le mal possible de l’Ecossais, L’Espagnol méprise le Portugais. Que de plus grandes différences aboutissent à une aversion difficile à surmonter, celle du Gaulois contre le Germain, de l’Aryen contre le Sémite, du Blanc contre l’Homme de couleur, a cessé de nous étonner. »

Passage qui mériterait des tonnes de commentaires, et d’ailleurs il les a eues. (La lecture visuelle rend frappante l’avalanche de majuscules dénotant l’essentialisation au fondement de toute discrimination). Et que diriez-vous, mon vieux Sigmund, devant la prolifération actuelle de ce phénomène ?

Curieusement « toute cette intolérance se dissipe, temporairement ou durablement, du fait de la formation en foule, et à l’intérieur de la foule (…) les individus se conduisent comme s’ils étaient uniformes, supportent la singularité de l’autre, se mettent à égalité avec lui et n’éprouvent aucun sentiment de répulsion à son endroit. »

(Il a rappelé plus haut la parabole des porcs-épics de Schopenhauer bien connue des lecteurs de Fragile)

Le pas suivant du raisonnement consiste à rapprocher les limitations de l’amour de soi narcissique que vivent les enfoulés des manifestations de l’état amoureux.

Autrement dit, l’enfoulement serait de l’ordre de l’enamoramento. S’agréger à la foule serait un peu comme tomber amoureux.

D’où la question suivante : quel élément est déterminant pour provoquer le mécanisme d’enamoramento ?

image par David Mark (Pixabay)

Un Commentaire

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    I can’t wait to know!
    Drôlement intéressant, quand on entend la passion que mettent des militants de bonne intention à vous convaincre que leur « parti » a raison , et pourquoi il est bon de penser comme eux! Une véhémence entre colère et désir…

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