« n°46 : Notre étonnement.

(…) Nous sommes tellement convaincus de toute l’incertitude et toute l’extravagance de nos jugements, ainsi que l’éternelle variation de toutes les lois et tous les concepts humains, que nous sommes vraiment étonnés de voir avec quelle fermeté les résultats de la science tiennent bon ! (…) Perdre enfin pied ! Flotter dans les airs ! Vagabonder ! Être fou ! – cela faisait partie du paradis et de la volupté des époques anciennes : tandis que notre béatitude à nous est pareille à celle du naufragé qui a rallié la côte et se campe des deux pieds sur la bonne vieille terre bien ferme – en s’étonnant qu’elle ne vacille pas. » (Premier livre)

Ce ne sont pas tant les résultats de la science qui tiennent bon, que la méthode qui fonde la science. En s’appuyant sur les résultats déjà acquis, on va émettre une hypothèse, puis travailler (par le calcul abstrait et/ou l’expérimentation concrète) à voir si elle se vérifie ou pas. Si pas, on émettra une nouvelle hypothèse en conséquence, on la passera à son tour au crible de la vérification etc. Ainsi pourront varier régulièrement les résultats de la science, sans que soit atteinte sa fermeté, on pourrait même dire : au contraire.

Cette procédure d’expérimentation et de vérification est nécessaire à pallier l’incertitude et l’extravagance spontanées de nos jugements. Et c’est pourquoi seule la reconnaissance de cette incertitude peut fonder toute démarche de savoir et de pensée. Donc d’une certaine manière cela passe bel et bien par flotter, vagabonder.

« n°54 : La conscience de l’apparence.

(…) Que puis-je énoncer d’une certaine essence sinon les seuls prédicats de son apparence ! (…) L’apparence, c’est pour moi cela même qui agit et qui vit, qui pousse la dérision de soi-même jusqu’à me faire sentir que tout ici est apparence, feu follet, danse des esprits et rien de plus, – que parmi tous ces rêveurs, moi aussi  »l’homme de connaissance », je danse ma propre danse, que l’homme de connaissance est un moyen de faire durer la danse terrestre, et qu’il fait partie en cela des grands intendants des fêtes de l’existence, que l’enchaînement et la liaison sublime de toutes les connaissances sont et seront peut être le suprême moyen de maintenir l’universalité de la rêverie et la toute-intelligibilité mutuelle de tous ces rêveurs, et par là justement de prolonger la durée du rêve. » (Premier livre)

En rapprochant ce texte du précédent, une certitude : Nietzsche n’a pas peur de se contredire. La science et l’essai semblent s’opposer à l’apparence et au rêve, comme le principe de réalité au principe de plaisir. À moins que ce ne soit pas là contradiction, mais recherche d’une synthèse plus profonde, celle du – paradoxe.

(Décidément ce truc du tiret, on y prend goût cf. 1/20)

« n°78 : À quel sujet nous avons le devoir d’être reconnaissants.

Ce sont les artistes, et en particulier les artistes dramatiques (ceux du théâtre) qui ont été les premiers à donner aux hommes des yeux et des oreilles qui leur permettent de prendre un peu de plaisir à entendre et voir ce que chacun est lui-même, ce que chacun vit lui-même, ce que chacun veut lui-même ; ce sont eux les premiers qui nous ont appris à apprécier le héros caché dans tous les hommes de la vie quotidienne, qui nous ont appris l’art de savoir nous considérer en héros, de loin et pour ainsi dire simplifié et transfiguré, – l’art de se  »mettre en scène » à ses propres yeux.

C’est le seul moyen qui nous soit donné de passer sur certains détails ignobles que nous portons en nous ! » (Second livre)

L’art de se mettre en scène n’a plus seulement lieu dans les théâtres, il est désormais le fait de tout un chacun sur les scènes virtuelles des réseaux sociaux. On inonde son compte ci, son compte ça, de Son Quotidien Palpitant, de Ses Activités Essentielles. Mon Menu du jour, Ma nouvelle Robe ou Bagnole, Moi Me saoulant Ma gueule avec Mes potes etc.

Mise en scène qui, tout en empruntant les codes contemporains, m’évoque irrésistiblement la série « Martine », déjà ringarde du temps de mon enfance : Martine à la plage, Martine à la ferme, Martine au ski etc.

OK cette accumulation d’insignifiances ne fait peut être de mal à personne (quoique) (déjà à la planète par le gaspillage d’énergie) (faudrait essayer Martine et Greta vont au GIEC ).

… Sauf que la dernière phrase est lourde de réflexions plus perturbantes.

Illustration Johnnyjohnson 20430 (Pixabay)

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