« n°134 Les pessimistes comme victimes.

Là où s’impose un profond déplaisir quant à l’existence, se révèlent les répercussions d’une grave faute de régime alimentaire dont un peuple s’est longtemps rendu coupable. C’est ainsi que l’expansion du bouddhisme (non pas son émergence) est liée pour une large part à la place prépondérante et presque exclusive du riz dans l’alimentation des Indiens et à l’amollissement général qu’elle entraîne. Peut être l’insatisfaction européenne de l’époque moderne doit-elle être considérée à partir de ce fait que le monde de nos ancêtres, tout le Moyen Âge, grâce aux influences exercées par les inclinations germaniques sur l’Europe, s’adonnait à la boisson : Moyen Âge, cela signifie l’empoisonnement de l’Europe par l’alcool. – Le déplaisir allemand quant à la vie est essentiellement consomption hivernale, sans oublier l’atmosphère de cave et les émanations toxiques des poêles qui emplissent les habitations allemandes. » (Troisième livre)

Comme quoi on a beau être le grand Nietzsche, on peut aligner pas mal de conneries au centimètre carré de page. On a ici une caricature de ce qu’il appelait sa physiologie. Le fait de ne pas considérer la pensée comme désincarnée, mais au contraire en repérer la source corporelle. Une forme de matérialisme, d’anti-spiritualisme, qui fut un des supports de sa réflexion sur la morale. Mais ici c’est une typologie caricaturale des peuples (elle fleurissait à son époque avec l’essor des nationalismes). Le nationalisme il le condamne pourtant, en particulier chez ses compatriotes, dans l’intuition des tragédies dont il est lourd (cf ses Considérations inactuelles). Pourquoi alors tant d’outrance ici ?

L’absurdité au service de la raison ? (penseront les optimistes).

« n°167 : Misanthropie et amour.

On ne dit en avoir assez des hommes que lorsqu’on ne peut plus les digérer et que pourtant, on en a encore l’estomac plein. La misanthropie est la conséquence d’un amour de l’homme et d’une  »gloutonnerie anthropophage » d’une avidité excessive, – mais qui t’a demandé d’avaler les hommes comme des huîtres, mon prince Hamlet ? » (Troisième livre)

De temps en temps ce drôle d’animal de Friedrich a des trouvailles carrément surréalistes. Quoique : tout à coup j’ai un doute, aussi bien cette histoire d’huîtres est vraiment chez Shakespeare. Ça ne m’étonnerait qu’à moitié de ce bon vieux Will. (Mais j’ai la flemme de chercher).

En tous cas ça me fait penser à ça : « L’identification est la forme la plus originaire du lien affectif à un objet (…) Le cannibale, comme on sait (…) aime ses ennemis jusqu’à les dévorer, et ne dévore pas ceux qu’il ne peut aimer d’une manière ou d’une autre. » (Psychologie des foules et analyse du moi chap.7 L’identification)

Le cannibalisme a c’est vrai perdu de son prestige de nos jours, malgré les louables efforts d’Hannibal Lecter. Mais si l’on passe de dévorer à phagocyter l’autre dans une relation d’emprise, ça se défend. Voir par exemple un autre film, celui de Maïwenn intitulé Mon roi.

Et pour continuer dans l’emprise

« n°175 : De l’éloquence.

Qui posséda jusqu’à aujourd’hui l’éloquence la plus convaincante ? Le roulement du tambour : et aussi longtemps que les rois le tiennent en leur pouvoir, ils demeureront toujours les meilleurs orateurs et fomenteurs de soulèvements populaires. » (Troisième livre)

Un soulèvement populaire fomenté par les rois, par ceux qui sont au pouvoir ? Mais oui. Le plus achevé en terme d’aliénation, dont on a tant d’exemples partout dans le monde et au plus près de chez nous. Et dont Nietzsche n’a cessé de dénoncer le tropisme chez ses compatriotes prussiens. Un soulèvement, ou plutôt un enlèvement populaire, que le roulement du tambour évoque parfaitement en effet : la guerre.

Roulement de tambour : « oyez oyez bon peuple allez donc tuer ceux que je vous désigne pour vos ennemis car ils menacent mon pouvoir. Oui vous vous y ferez un peu tuer aussi au passage, vous y laisserez des plumes. Oui vous n’y avez aucun intérêt je sais mais c’est parce que je le vaux bien. »

Une aliénation qui sévit aussi dans la politique en mode populiste (et d’ailleurs les deux se rejoignent parfois). Partis inféodés à un chef, citoyens manipulés par des discours fumeux, transformés en chair à ambition, en marchepied de carrière. Le roulement de tambour se fait grésillement du buzz, ressassement médiatique, et son efficacité pour conduire sur le sentier de la servitude volontaire s’en trouve décuplée.

Illustration Johnnyjohnson 20430 (Pixabay)

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