« La cause de la rapide décadence et de la fin tragique de l’humanisme c’est que si ses idées étaient grandes, les hommes qui les proclamaient manquaient souvent d’envergure. Ces idéalistes de cabinet comme tous les réformateurs en chambre ne sont pas exempts d’un brin de ridicule ; leurs âmes, à tous, sont froides ; ils sont bien intentionnés, honnêtes, mais (…) un pédantisme de professeur atténue chez eux l’éclat des idées les plus belles.
Ils sont touchants ces petits disciples d’Érasme avec leur naïveté pédagogique, ils ressemblent un peu à ces braves gens (…) qui croient au progrès comme en une religion, à ces songe-creux qui, assis à leur table, élaborent un monde moral (…) tandis qu’autour d’eux les guerres se succèdent sans arrêt ; et ce sont précisément ces mêmes empereurs, ces mêmes princes, qui applaudissent avec enthousiasme aux idées de concorde universelle, qui se liguent les uns contre les autres et mettent l’univers à feu et à sang. »
(Érasme chap 6 Grandeur et limites de l’humanisme)
Que d’amertume et d’auto-dérision dans ces lignes ! Zweig se voit comme ces intellectuels pétris de bonnes intentions, qui ne ménagent pas leur peine pour formuler, convaincre. Mais qui, dans leur naïveté pédagogique ne font pas le poids face aux puissants, prompts à les instrumentaliser pour mener à bien leurs propres projets, tout sauf humanistes.
Pour autant cette analyse est-elle totalement juste ?
Sur la naïveté et l’idéalisme instrumentalisés par les cyniques, certainement.
Mais qu’entend-il par âmes froides ? S’il veut dire sang froid, aptitude à ne pas s’échauffer dans son discours ou ses idées, je crois au contraire que ces qualités-là sont des atouts.
Mais sans-doute veut-il plutôt pointer par cette froideur un manque d’engagement, de flamme intérieure. Qualités qui manquaient selon lui à Érasme.
Possible, mais une chose est sûre, et les doutes formulés ici en sont le paradoxal témoignage, une flamme intérieure brûlait en lui, Stefan Zweig. Non de celles qui incendient et ravagent, allument les bûchers et les autodafés, mais de celles qui offrent un petit foyer d’humanité où se réchauffer, de celles qui éclairent le chemin à chercher dans les ténèbres.
Illustration Pieter Brueghel : Dulle Griet (Musée Mayer van den Bergh Anvers)