Une méditation sur les Vanités

« Ci-gît n’importe qui » (Jules Laforgue).

« Vanité, vanité, tout n’est que vanité », telles sont les paroles de l’Ecclésiaste qui résonnent encore jusqu’à nous aujourd’hui. A travers l’Histoire, la vanité exprime la fragilité de la condition humaine, dérisoire face à la puissance divine. Vulnérable roseau qui résiste un moment au passage du temps, puis finit par y succomber.

Nous trouvons dans les Pensées de Pascal l’une des plus belles méditations sur la vanité : d’après le philosophe, l’homme est vain dans la mesure où il s’érige lui-même en dieu. Pascal déploie la dimension métaphysique de la vanité, là où La Rochefoucauld se consacre à sa dimension seulement psychologique, affirmant que l’homme est vain dans la mesure où il tient à paraître ce qu’il n’est pas.

« Qui voudra connaître à plein la vanité de l’homme n’a qu’à considérer les causes et les effets de l’amour. La cause en est un je ne sais quoi. Et les effets en sont effroyables. Ce je ne sais quoi, si peu de chose qu’on ne peut le reconnaître, remue toute la terre… Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé » (Pascal, Pensées, Laf. 197).

La vanité se mesure, ici, à la disproportion qui sépare les effets de leur cause. Or, c’est bien cette même distance que reprend La Rochefoucauld au début des Maximes, lorsqu’il note : « Ainsi la guerre d’Auguste et d’Antoine qu’on rapporte à l’ambition qu’ils avaient de se rendre maîtres du monde, n’était peut-être qu’un effet de jalousie ».

Pour La Rochefoucauld comme pour Pascal, le sort de l’univers entier dépend ainsi d’une passion éprouvée par l’Homme, et c’est dans cette disproportion que vient s’inscrire tout le dérisoire de la condition humaine.

Les artistes se sont emparés du thème de la vanité pour exprimer notre finitude. Les peintures de Vanités du XVIIème siècle renvoyaient à une intention philosophique et morale : elles avaient pour mission de mettre en garde le spectateur contre un trop grand attachement aux biens de ce monde.

Issues d’une morale stoïcienne de la tempérance, les peintures de Vanités témoignaient d’une intention hautement spirituelle dont on pouvait aisément déchiffrer les indices symboliques comme le crâne, le sablier, la montre ou la bougie à demi consumée. Et ceux-ci, en désignant le caractère éphémère de toute existence, remplissaient donc la fonction de prévenir le spectateur des dangers propres aux choses mondaines désormais considérées comme des leurres.

Que reste-t-il aujourd’hui des nombreuses références philosophiques, en particulier aux stoïciens, qui indiquaient la morale à suivre pour un spectateur qui se regardait dans une Vanité comme dans un miroir ? Si le crâne reste un symbole connotatif évident de la Vanité dans l’art contemporain, l’effet de vieillissement vient très souvent s’y substituer, offrant aux yeux du spectateur un processus en acte. Ce sont, par exemple, de vrais fruits en train de moisir filmés en vidéo (Sam Taylor Wood, 2001).

En dépit de l’apparente hétérogénéité des divers modes d’expression des Vanités contemporaines, de même qu’en dépit des trois siècles qui séparent ces dernières de leurs modèles originels classiques, une même obsession ne cesse de hanter le motif, celui qui incite les artistes à rendre manifeste le Temps et la Mort.

Guillaume Dreidemie

Guillaume Dreidemie

Né à Lyon en 1993, Guillaume Dreidemie est professeur de philosophie. Conférencier à l'Université Pour Tous, au Collège International de Philosophie et au Musée des Beaux-Arts de Lyon, il collabore régulièrement avec la revue Matières à penser. Membre fondateur de la revue de poésie L'Écharde, il a publié un recueil de poèmes, Le Matin des Pierres, au printemps 2023 aux éditions La Rumeur libre. Ouvrage à paraître en novembre 2023 : Penser le monde. De Kant à aujourd'hui, éditions Kimé.

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    Un Commentaire

    • Laure-Anne dit :

      Oui ceci est une constante, que vous pointez avec justesse , et il n’y a qu’à regarder les crânes incrustés des très anciens amérindiens et ceux incrustés de diamants de Damian Hirst, et votre conclusion s’impose, avec un trait d’union au cœur le plus dur sans doute de la vanité, l’amour du pouvoir.

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