VERY COOL LEE?

 

Je me souviens de Lui, en demi teinte, subconscious-lee.
Disparu à 92 ans du covid 19 le 15 avril dernier, le saxophoniste alto Lee KONITZ était un vagabond de l’improvisation qui ne s’est jamais fixé sur un style, mais a fini par créer le sien;  il a traversé les périodes les plus fécondes du jazz, les plus enthousiasmantes, a joué avec les plus grands musiciens. Il semblait ailleurs, décalé, en avance d’un pas, toujours de côté.
Une notice nécrologique? Ce serait par trop fastidieux avec une liste de noms illustres, car une si longue carrière ne mérite aucun oubli, des sessions mythiques avec Miles, des disques Verve avec Jimmy Giuffre, des sessions avec le ténor Warne Marsh, de ses derniers duos avec le jeune pianiste Dan Tepfer…
Remonter plutôt dans ma mémoire, mes souvenirs, en images plus encore qu’en son. Un défi passionnant, car, dans sa transparence voulue, il m’a longtemps échappé! Il adopte, adapte et améliore, ou plutôt fait évoluer la musique. Tout en réussissant à inventer un discours nouveau et identifiable!    Il n’est évidemment ni un génie décisif comme Charlie Parker, dont il descend en droite ligne (période et instrument oblige), ni un chef de file comme son mentor, le pianiste Lennie Tristano, décisif dans son apprentissage. Il n’a bâti que sur le sable, “lame d’eau fraîche et de fumée”,  vif-argent et fantasque.

Sa langue n’était faite que de standards, un matériau de base dont il voulait s’éloigner par une syntaxe originale. Sans se soucier de la mélodie originelle, il ne posait jamais le thème et partait bille en tête. De mes premières écoutes de Lee Konitz à la radio, rien ne demeura vraiment, puisque je ne pouvais en repérer, ni répéter le chant. Les variations m’importaient moins alors que la pureté d’une ligne mélodique, immédiatement saisissable. Il attaquait autrement,  déconcertant par sa fantaisie inimaginable, alors que j’étais avide d’un plaisir immédiat donné par l’écoute attentive d’un jazz plus classique. Et dans ces variations subtiles sur un même thème, je comparais son phrasé fantasque et comme irrésolu, à la beauté des volutes du ténor de Stan Getz dont le “Lush Life”, pour ne citer qu’un exemple, a laissé son empreinte plus de quarante ans après!

 

Lee Konitz  me devint plus accessible dans sa période dite “ cool”, où ce Lesterien dans l’âme, saxo post bop, sortit de l’influence écrasante du Bird !C’est la raison pour laquelle, intrépide, je me rendis un soir au Dreher, club de jazz, aujourd’hui disparu, en sous sol, près du Châtelet, pour entendre un duo improbable, celui de Martial Solal et Lee Konitz : nous étions en 1980 et étudiante à Paris, je ne menais pas vraiment la vie de bohême mais j’étais libre avec pas mal de “time on my hands”…

Konitz a toujours aimé jouer en duo et il trouva vite en Solal, le compagnon parfait qui, tout en étant complémentaire, partageait sa règle du jeu : ne jamais se répéter, ne pas ressasser, prendre à contre-pied le public et son partenaire qui le lui rendait bien, avec cet humour vif, lucide dans le processus de déconstruction ! Un concert assez exceptionnel dont je n’entendis pas tout de suite la valeur : cette libre improvisation, où chacun apparemment jouait sa partition,  à son aise, dans un renouvellement joyeux des thèmes abordés. Ils ne reproduisaient pas, ils inventaient!
J’ai mis du temps avant de m’approprier le passage incessant par l’expérimentation, du be bop ou du cool vers une certaine abstraction qui lui appartenait en propre. Et à l’apprécier.

Un dernier souvenir marquant remonte à l’édition 2003 du festival jazz d’Avignon !

(photo de CLAUDE DINHUT 6 août 2003)

Il avait répété à la balance, imperturbable, attentif à la beauté du site , mais assez inaccessible. Le concert imaginé par le saxophoniste François Théberge, professeur au C.N.S.M, fut  un exemple de ce jazz vif que l’on recherche.  A l’époque, nous dînions après le concert, non loin du cloître des Carmes. Et j’ai toujours aimé ces temps partagés, où la rencontre avec les musiciens pouvait aussi s’improviser!
Par un hasard étrange, me voilà assise à table, tout à côté de lui, peut-être me suis-je installée rapidement pour garder contenance. Il est là, assis, maussade. Nous attendons longtemps, un peu trop longtemps et visiblement, il s’ennuie, fatigué, affamé aussi! Sage et comme tétanisée, je ne dis mot ! J’ai une photo de ce rendez vous manqué, qui me fait encore sourire, nous montrant tous deux, perdus,  étrangers à l’autre et au monde!

Je ne sais si ce portrait, brossé à grands traits de mon Lee en saxophoniste, lui rend justice mais une vidéo de 1972 montre un autre aspect tout à fait épatant: un Lee binoclard (qui a ôté ses lunettes), goguenard, tenant son public en haleine,  se livre avec malice, à un exercice de style un rien périlleux, avec sûrement l’intime satisfaction de celui qui a confiance. Loin de vouloir se laisser dominer par le fantôme de Charlie Parker, il provoque un duo ( duel?) hilarant, décalé, de deux altistes sur le même thème de Tadd Dameron “Hot House”! Comment ne pas être séduite par cette brillante façon, décomplexée d’affirmer sa liberté, sa maîtrise de l’instrument et son indépendance ?

 

Tel était Lee, Deep-Lee, really…
Frank-Lee, Lone-Lee, peut être pas Humb-Lee mais  possibly Tender-Lee

 

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