En  jouant, en écrivant…


Romain VILLET
Le Dilettante

 

“Pièce pour un trio jazz, un pianiste aveugle et disert”.
Le programme est dévoilé, le thème exposé.Voilà une histoire d’amour qui n’est pas près de se terminer. Et qui a donné matière à un épatant petit ouvrage des éditions Le dilettante!

Le titre se réfère à la chanson My heart belongs to Daddy… On pense évidemment à Marylin dans le film de George Cukor Let’s make love, programme que suivit à la lettre Yves Montand (le Milliardaire du titre français) .
Fausse piste. Romain Villet nous rappelle que cette chanson est de Cole Porter, “l’un des plus grands pourvoyeurs de saucissons” de l’histoire de la musique et du jazz. Et que l’une des plus brillantes versions de ce standard fut donnée par le colosse aux mains agiles, ce géant d’Oscar Peterson! D’où « My heart belongs to Oscar », le texte exact avec didascalies de la performance théâtrale et musicale du trio du jeune pianiste. On apprend tout ou presque du parcours pour le moins original de Romain Villet, de son authentique coup de foudre musical pour “le grand maharadja” du piano selon Duke, moins compositeur qu’improvisateur.
Romain Villet ne se soucie guère de futur depuis qu’il a découvert OSCAR; il se réserve pour la musique de l’instant. Une révélation mystique et philosophique qui a imprimé un sens tout autre à sa vie, lui a fait suivre une voie qui bifurque. Une façon de se repasser l’éternel retour.

Sur scène, le pianiste commente avec humour ce qui va suivre en insistant sur les fondamentaux de cette musique que l’on appelle le jazz, le swing et son essence, l’art du trio, l’improvisation. [Qui ne sont pas forcément les maîtres-mots des musiques actuelles dans lesquelles on classe un peu hâtivement  le jazz.] En insistant sur le fait que Peterson ne fait que retravailler éternellement les standards, Romain Villet va à l’encontre d’ éventuelles critiques: pourquoi reprendre à son tour, Oscar Peterson, à qui l’on a beaucoup reproché les tics de jouage, les plans tout prêts sous ses doigts? Pourquoi en faire l’objet de son spectacle?
Ce serait mal comprendre son histoire, cette obsession justifiée pour un immense pianiste. [Qui, au passage descendait aussi du grand Nat King Cole, inventeur de la formule piano-basse-guitare.]

Mais ce que nous fait parfaitement comprendre l’ami Romain, c’est que le seul engagement qui tienne, c’est celui du concert où se fabrique la musique sous nos yeux, et pour nos oreilles, pas toujours assez ouvertes. “A work in progress and a labour of love” selon les formules standards des Anglo-saxons.
D’où naturellement, un deuxième texte « Entre deux sets » qui a ma préférence, sur la conversation au bar, avec un interlocuteur, un rien chatouilleux, un casse-pied certainement éméché, un opposant avec lequel il dialogue à fleurets mouchetés. Romain Villet en profite pour attaquer, frapper juste et fort pour “déniaiser son lecteur” et en tous les cas, lui laisser des souvenirs. Ça , c’est  vraiment très généreux!
Ce serait passer à côté de l’un des enjeux de l’auteur : donner à voir (!) et surtout à entendre, expliquer, revenir encore et toujours, patiemment “Pourquoi le jazz?” dans une forme enjouée, rapide et ciselée, ludique avant tout : des textes courts qui fusent dans tous les sens. Une explosion de mots, de formules et de jeux d’écriture, un festival d’esprit qui doit convaincre le béotien!
Il a une véritable appétence pour les mots,  leur son le guident! Très vif d’esprit, prêt à répondre à l’imprévu, l’improvisation du jazz ne pouvait que lui correspondre. “Habiter une structure au présent”  dit-il en citant Barthes. Pas rancunier Romain, car l’écrivain n’avait pas une grande disposition pour le jazz.
Et puis, comment ne pas reconnaître que c’est une musique qui se joue sans avoir à lire une partition, même en braille, ce qui ne condamne pas un pianiste au seul, même génial, Concerto en ré majeur de Ravel.

Faut-il l’avouer, cette écriture solaire, intense et fiévreuse ne nous donne plus qu’une envie, celle d’écouter le pianiste et son trio, de les entendre dans “What is this thing called love?”, “Caravan”, “People”, “You look good to me” (que si peu osèrent reprendre après Oscar Peterson)…

 

 

 

7 Commentaires

  • Bal dit :

    Merci pour ce partage et ce goût pour une composition vivante à offrir au public en direct. C’est tellement agréable d’être présent à l’instant où les sons se délient contre l’instrument rien que pour nos oreilles…
    Reprendre “You look good to me”, c’est très beau.

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    « Le seul engagement qui tienne, c’est celui du concert où se fabrique la musique sous nos yeux, et pour nos oreilles » : Romain Villet mène donc à comprendre que le vivant engage, et qu’il nous faut nous y engager. Leçon qui n’est pas inutile.

  • Fillias-Bensussan dit :

    Oui, ça donne envie, en effet, de lire, et d’écouter !

  • Fillias-Bensussan dit :

    « heaven, I mean, heaven… », ce morceau qui sounds good !

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Je viens de finir My Heart belongs to Oscar, pédagogique avec humour certes, mais surtout jubilatoire et pneumatique, et dont l’élan transpose dans la parole le jeu d’O.P. au piano : j’en suis venu très vite à le lire à voix haute, tonitruant à vive allure. Ayons une pensée pour les oreilles de mes proches…

  • Sophie Chambon dit :

    La voix c’est un peu ce qui nous reste en ce moment de plus précieux car nous la recevons en live par la radio (quel merveilleux media) et par les appels téléphoniques de nos proches.
    C’est bon je pense de chanter ou de « déclamer », cher P.H.S.

  • Pierre Hélène-Scande dit :

    Oui, certains textes se prêtent bien à ce qu’on s’en mette plein la bouche, ils ont une saveur qui appelle la gloutonnerie. 🙂

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