Frôler le festival, frémir sous son off, flâner de plaisir en spectre anonyme sous les foulards cuivrés ou de couleurs fuyantes, c’est selon.

Les perles colorées de réclames d’occasion se dénudent sous mes yeux dans la farandole off du matin. La chaleur monte très vite. Le rythme ralentit de soi.  Avignon se lève sous le diktat des spectacles vivants, nouveau sang de rêve irriguant le quotidien de la cité aux mille et une scènes. Certains spectacles sont complets jusqu’à la fin du festival, déjà.

L’identité ici, c’est celle des créations artistiques, des résistances poétiques, esthétiques, ou vitales. L’essentiel dans ce tohu-bohu c’est de trouver l’inutilité bienheureuse, le désintérêt salutaire, la rencontre anodine qui fait mouche. A défaut de se connaître tous, tous se reconnaissent à travers ce qu’ils aiment.

 

 

Un rôle ça se défend, ici le théâtre défend des rôles pour tous et chacun. Entre jus de gingembre aux glaçons et ruelles affriolantes en partage, Hamlet m’invite à pleurer Ophélie le long des pierres du X° siècle que je foule pour me rendre voir des poètes en cavale égrenant leurs chansons parfumées.

Le bruit et la musique se bousculent, une fragrance s’en dégage confusément, c’est une invitation à entrer dans la danse avec des artistes venus du monde entier représenter sous les yeux du public des fictions étonnantes, public qui, averti ou nom, vibrera un instant sous la musique improvisée d’une compagnie de théâtre.

En sortant, dans une échoppe de plaisance, un poète public, Xi, m’écrit un poème sur un mot que je prononce pour lui : spectre, et j’apprends que mon spectre ne fait que traverser la notion subjective du temps. Des yeux d’un bleu chassant l’océan d’une brise éphémère, il m’assure que Xi est bien son nom de poète.

Au détour d’une pizzeria, sur une petite place ancrée entre trois ruelles, je lis en lettres capitales BELLA CIAO, puis en dessous BOULANGERIE UTOPISTE. Si les tournesols au dessus ma tête volant d’une rive à l’autre du passage entre les deux bâtisses opposées de la rue ne me tombent pas sur la tête, je veux bien croire que je ne suis pas dans un rêve. Pourtant le feu tournant qui s’allume à chaque découverte surprenante qui m’attend est bien réel, le feu qui comme un fait exprès brûle là où j’ai décidé d’être sur une place où des clowns passent en dansant au son de la musique de Huit et demi. Ils portent à bout de bras une pancarte sur laquelle est écrite : L’histoire du communisme racontée aux malades mentaux. Un idéal de plus qui se livre à moi sans vergogne de la sorte, et je ne reviens plus jamais chez moi, c’est décidé.

 

 

La chaleur m’étouffe maintenant dans l’après-midi. La séduction est toute entière à sa Commedia Dell’Arte avignonnaise. Les corps parlent sans mot dire. Les flûtes rejoignent les percussions. Les harangues, insoumises à la loi du système-temps, ritualisent de virtuosité pour amener toujours plus de monde à rejoindre un spectacle à l’heure où il s’invitera sur une prochaine place. Quelques passants jouent la lassitude des choix soudains dans un monde qui, jusqu’à juillet en Avignon, les fatiguait pourtant de son oeil trop banal. C’est que les artistes crient à corps et à cris que le choix n’existe pas, mais ils vous en font pleuvoir pléthore “des” qui en sont trop pour un seul passant. C’est un subterfuge entendu depuis toujours, un artifice de plus ou de moins de change au rien à la donne, l’échange est toujours entier, et les regrets impossibles.

Couronnes de fleurs, et invisibles rimes meurent en silence dans la chaleur. Je viens de voir jouer sur scène « Deux fois rien »… de poésie, un spectacle dans lequel deux hommes se disputent le piano et les mots. Je m’évade en sortant, encore caressée par les notes qui berçaient les paroles. Dans le fluide surgissent des êtres transcendés par le poème d’après, celui qui vient, je m’engage encore plus loin dans la sarabande sauvage des souffleurs d’étoiles et de poussières.

Entre lunes virtuelles et lueurs sculptées d’ambres nattes un dédale d’obscurs éclats colorés me rappelle soudain que Kafka a écrit : « C’est une vie entre les coulisses ». Lorsque une représentation se réalise, entre les scènes, entre les actes, entre le théâtre et la rue, un lieu de vie existe alors pour les amoureux du théâtre. Aujourd’hui en Avignon, cette vie entre les coulisses se chante sans crainte, elle triomphe à chaque mouvement, sourit à bout portant.

Dans un sursaut de vent né du soir montant, les flyers disposés sur de multiples reliefs d’occasion font brusquement frémir leurs ailes dans la ville. Le rêve a pris sa place parmi les hommes à qui Prométhée a transmis l’art, il tinte entre les verres et les assiettes qui se déploient soudain le long des trottoirs.

 

 

Ca me rappelle qu’hier, dans un lieu reculé, une femme égrenait la poésie que j’avais vu se dessiner doucement au cours de nos années de formations théâtrales. Elle insufflait le verbe poétique dans un corps beau et fort qui transforme la vie dans sa dureté comme dans ses belles heures en voyage initiatique où demain vient la merveille rêvée, bien que différente de l’attendue. Là encore, “c’est une vie entre les coulisses” que la femme poète traverse telle une âme bienfaisante pour la vie qu’elle porte en elle, surprises et découvertes flirtant dans son intériorité vécue.

Ici, en Avignon, ce juillet 2019, j’ai eu l’illusion que le théâtre était le refuge de toutes les beautés oubliées ou en suspens dans l’imaginaire. Avignon et son théâtre a fait mon rêve pour quelques ballades créatives, mais aussi ouvert mon imagination pour accueillir le prochain rêve qui vient.

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