Ma première approche du taï-chi-chuan s’est faite par un biais détourné : lors de stages de chant qui incluaient divers intervenants, dont un professeur de taï-chi (abrégeons !) qui avait pour mission d’aider les stagiaires à libérer la circulation du souffle et de l’énergie, à assouplir leur diaphragme et leur cage thoracique, à atteindre le relâchement des muscles préalable et nécessaire à l’émission du son, d’un son soutenu et souple, ancré et libéré.

Ainsi le chant ouvrait à ce principe fondamental qui veut que le taï-chi cultive une force souple dans laquelle c’est le relâchement qui permet de propulser l’énergie du mouvement. Où l’on voit déjà s’esquisser la complémentarité dynamique du yin et du yang (mais nous y reviendrons).

Ce que le chant, en revanche, ne m’avait pas appris, c’est que le taï-chi est un art martial – même si hautement symbolisé dans sa version la plus connue en Occident. Les forces mises en mouvement y sont alternativement des  forces de réception / évitement d’une attaque (forces tangentielles) et de renvoi / retour à l’envoyeur (forces de rotation). Il s’agit de se défendre en retournant à l’adversaire l’énergie de ses propres coups. Le taï-chi est donc un duel. Certains exercices à deux concrétisent cet aspect. La pratique habituelle, consistant à dérouler souplement un enchaînement de postures, ne fait que le représenter – l’autre, l’absent, étant cependant fortement présent dans l’intention qui porte les gestes de celui qui pratique.

Un duel, un combat, donc. Mais dans la forme symbolisée, c’est aussi une association et une complémentarité, une écoute et une réponse. Double mouvement qui, tout naturellement, s’adosse à la respiration : on y inspire (temps yin) quand on reçoit, on y expire (temps yang) quand on repousse. Et de cette dynamique respiratoire naît en cascade toute une série de réactions corporelles coordonnées, depuis le sommet du crâne jusqu’à la pointe des orteils, depuis le squelette jusqu’aux organes mous internes. D’où l’on comprend que le taï-chi soit devenu ici une gymnastique de santé.

Combat, gymnastique. Dans la tradition orientale, le taï-chi a en outre une dimension spirituelle. Plus difficile à appréhender pour qui ne s’est pas engagé sur la Voie du Tao ! Toutefois il n’est pas impossible d’investir une pratique régulière et consciente d’un certain «supplément d’âme » : fugitivement se laisse percevoir un au-delà du simple exercice physique. C’est ce dont tente de rendre compte le texte suivant.

J’accueille, je repousse
Je me construis
Dans le rapport avec autrui
Qui me remplit
…………….Qui me vide
De ses richesses
De ses tendresses
……………..De mes certitudes
……………..De mes solitudes

J’inspire, j’expire
Je m’ouvre et me grandis
…………………Me ferme et me replie
Rythme du Souffle primordial
Frémissant aux ailes du nez
……………..Fraîcheur
……………..Tiédeur
Pulsation d’énergie vitale
Flux et reflux d’une intime marée
…………….Intérieur
…………….Extérieur

Du yin et du yang
Jaillit l’échange
…………….Fondateur

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Sylvie Mellet

Sylvie Mellet

Retraitée du CNRS où je menais des recherches en linguistique, je consacre désormais une large part de mon temps au taï chi, au yoga, à la randonnée, à la lecture et l'écriture. J'aime marcher sur les chemins en étant à l'écoute des oiseaux, des arbres, du vent et de la lumière, de la vie de la nature et j'aime que les pas fassent naître des mots et que les mots rythment mes pas.

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    4 Commentaires

    • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

      Très intéressant, y compris le passage de l’art du combat à l’art de la relation, beau retournement dialectique, à moins que sublimation, comme le montre bien le changement de régime d’écriture final.
      J’imagine que comme pour toutes les pratiques, accéder à cette relaxation et à cette liberté fluide qui fait passer de l’un à l’autre, de l’autre à l’un, il faut déjà pas mal de maîtrise, de souplesse, et d’endurance.
      Car la relaxation en état d’apprentissage est une sacrée conquête, il faut vouloir bien faire sans vouloir trop bien faire, et en même temps elle est certainement condition de la réalisation « heureuse » d’un mouvement ou d’une série de mouvements.
      Il y aurait pê une suite à écrire aussi sur la question de la mémoire du corps, les enchaînements chorégraphiques (car en quelque manière, c’en est, il me semble) me semblent toujours si difficiles à intégrer… et quand la souplesse résiste…
      Merci en tous cas de cette belle présentation-tentation.

      • Sylvie Mellet dit :

        Ah ! la mémoire du corps … Elle est à la fois une évidence et un mystère. J’avoue que je ne me sens pas vraiment au clair sur ce sujet, pas même sur sa réalité vécue – sans parler de ses ressorts physiologiques, biochimiques, cognitifs, etc. Ce serait donc en effet à explorer, au moins d’un point de vue subjectif.

    • Michèle Monte dit :

      Merci beaucoup, Sylvie, pour le texte et le beau poème qui dit bien vers quoi nous essayons de tendre dans le taï-chi, c’est un idéal difficile à atteindre mais ce qui est beau, c’est que le simple fait de le rechercher remplit déjà de joie.

    • Sophie Chambon dit :

      Une fois encore Sylvie, merci pour ton texte limpide qui ouvre une voie vers cette pratique étrange et souvent étrangère du Taï chi. Merveilleuse « instructrice » par tes mots.
      Voilà avant de te lire et de mieux saisir le sens ce que je ressentais….

      J ai toujours pensé que ce ballet tellement lent qu’il semble au ralenti, demandait une concentration de chaque seconde pour s’ancrer dans l’instant. Une expérience insolite et intense qui exigeait une attention et un non relâchement que je couple mal avec la contemplation. Peut-être par la fluidité…
      Dans les films d’art martiaux, il peut y avoir un effet de ralenti , volontairement raffiné et esthétique. Et trompeur (mais n’est-on pas au royaume de l’ illusion? ). Car ces actions demandent un enchaînement parfait, une efficacité sans faute. Pour ne pas en payer le prix…

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