Transmettre le déséquilibre

 

Le plexus solaire pour un trac entre désir et peur

 

Rafael Bianciotto
Rafael Bianciotto

 

Né à Buenos Aires, Rafael Bianciotto fait ses études de théâtre à l’Université de Buenos Aires. En 1990, s’installant en France, il poursuit ses Etudes Théâtrales à la Sorbonne Nouvelle Paris III. Metteur en scène depuis 1993, il a été longtemps assistant de Mario Gonzalez sur de nombreux spectacles en tournées en France et à l’étranger. En 1998, il crée la Compagnie « Zéfiro Théâtre » et met en scène plus d’une dizaine de spectacles: « Lysistrata » d’Aristophane », « Grand peur et misère du III Reich » de Brecht, « Candide » d’après Voltaire et « La Tempête » de W. Shakespeare, « Preuve d’Amour » de R. Arlt et ORIGINES en 2019. Rafael Bianciotto a mis en scène des spectacles ayant pour fil conducteur LE CLOWN et des textes classiques comme « Péchés Capitaux, une divine comédie » en 2008, d’après La Divine Comédie de Dante et « Sokrates », « La Nuit des Rois » de W. Shakespeare au théâtre national d’Islande en 2009 et un Opéra Clown au Théâtre de la Ville de Reykjavik en 2015.

 

Photo Jean-Pierre Merlet
MB : Vous avez décidé de transmettre une parole scientifique : “la brisure de symétrie”, dit avec ces mots c’est effectivement comique, pourtant en vérité ça me donne le trac. Aimez-vous jouer avec ce qui fait peur ?

Rafael Bianciotto : Oui, c’est un moment extraordinaire de la théorie standard de la physique. Je dirais que c’est le vrai « début » de notre univers (si on peut parler de temporalité à 10 -32 secondes, 32 fois dixième de dixième de seconde)  tel qu’on le connaît. La « Brisure de Symétrie » fait partie d’un concept de la théorie standard de la physique qu’aujourd’hui la plupart de la communauté scientifique accepte comme valide. C’est là où tout s’est joué : l’apparition de la distinction des deux premières forces et du coup la matière et l’antimatière. Alors pour répondre à votre question, je n’aime pas particulièrement jouer avec ce qui fait peur, mais l’inconnu fait souvent peur. Pour celui qui ne connaît pas le concept physique, l’expression  “brisure de symétrie” peut faire peur, mais la symétrie c’est l’immobilité, il n’y a pas de mouvement dans la symétrie absolue. Il faut qu’il y ait un déséquilibre pour mettre en marche quelque chose. L’univers et la vie sont nés de ce déséquilibre. Et pourtant on trouve une certaine tendance à de la symétrie (ou une tendance à l’équilibre) partout dans l’univers. Peut-être, atteindre la symétrie originale serait une forme de fin, de mort. La symétrie c’est la mort. Il faut oser le mouvement le déséquilibre la danse de la vie. Donc, j’aime amener le public vers des zones où il se sent déconcerté et où l’on casse les certitudes et les prêt-à-penser… Un spectateur qui s’est beaucoup amusé m’a dit en sortant du spectacle : “on ne se pose pas toutes ces questions tous les jours !”

clowns et public
Photo Jean-Pierre Merlet
MB : La “bataille entre matière et antimatière” s’explique-t-elle avec plus de limpidité sur scène que dans un livre scientifique ?

Rafael Bianciotto : Je ne dirais pas qu’elle s’explique mieux, mais à travers le spectacle, le « show », le public baisse les résistances pour accéder à la connaissance : « l’ennui et l ‘effort ». Sapiens est une espèce feignante (pour déculpabiliser sapiens, la vie elle-même est de nature feignante, économie d’énergie pour tout, minimum d’effort pour un maximum de résultat) donc il a besoin d’une récompense pour accepter « d’apprendre »… la question rationnelle de : « à quoi ça sert ? » … disparaît puisque j’obtiens un gain tout de suite (si les comédiens sont en forme et justes ) le plaisir de rire, de jouir, pour rien ! juste pour le plaisir de rire avec d’autres semblables à coté ! et du coup l’effet collatéral arrive : il va apprendre des choses … il va comprendre, ou du moins éveiller la curiosité pour aller chercher plus loin, plus tard. Car soyons honnêtes, aucun être humain ne peut,  ni expliquer ni comprendre des concepts comme la théorie quantique ou la brisure de symétrie en une heure de spectacle. Même un docteur BAC+12 ne comprend pas tout alors… D’ailleurs une des comédiennes est docteur en physique de l’Ecole Normale Supérieure ULM : Anne-Dominique Défontaines. C’est elle qui a eu l’idée originale et guide le propos du spectacle et en particulier celui du tableau origine de l’UNIVERS. « ORIGINES » est l’histoire d’un projet collectif où 5 artistes (Jean-Luc Priano, Charlotte Andrès, Nicolas Biaud-Mauduit, Anne-Dominique et moi même) nous sommes interrogés sur comment nous sommes en arrivés là dans cette galère ? Donc nous sommes partis chercher sur l’origine de LA VIE, L’UNIVERS, LA SOCIÉTÉ, puis LA FIN, si il y en a une… c’est un délice de rencontrer les spectateurs à chaque représentation et de partager nos interrogations sous la forme d’un festin, des Clowns contorsionnistes de l’âme ou acrobates de l’esprit pour reprendre plus ou moins les termes d’Artaud. Ils s’amusent à jongler avec les concepts et les idées de nos savants et poètes de l’espèce humaine.

Photo Jean-Pierre Merlet
MB : A mes yeux vous êtes un farouche ennemi de l’idiotie. Pourquoi avoir choisi le clown comme résistant face à la stupidité ?

Rafael Bianciotto : Le bouffon, le fou du roi, le pitre depuis la nuit des temps est l’archétype de celui qui vient toujours perturber, divertir certes, mais souvent pour amener la clarté. Du coup il casse le règles. Il enfreint l’ordre établi. C’est sa force ! Ça lui est autorisé par le roi de service ou le ministre de la culture car on a besoin de lui pour voir plus clair. Les moyens peuvent varier : jonglage, jeu de mots, chanson ou pirouette… mais il est visionnaire d’un regard plus large car il est détaché de la hiérarchie. Il ne cherche pas le pouvoir. Donc, ce n’est pas qu’il apporte « une vérité » , ça c’est pour les fanatiques, la « vérité immuable ». Mais notre Clown, apporte un nouveau regard. Qui dit regard dit lumière, qui dit lumière dit clarté. Nous ne sommes pas des résistants (car le résistant va chercher à prendre le pouvoir) mais plutôt des chercheurs de lumière.

En quelque sorte nos Clowns ont la même philosophie que la pensée scientifique (avec des méthodologies différentes) : on ne sait rien. On doute de tout. Tant qu’une chose n’est pas démontrée on continue à chercher. C’est à l’envers du politicien : tout est vrai tant que personne ne dit le contraire ou qu’un journaliste prouve sa mauvaise foi.

Photo Jean-Pierre Merlet
MB : Le public, par des réactions parfois inattendues devant ce qui se joue sur scène devant lui, vous apporte-t-il parfois des réponses pour vos prochaines mises en scène ?

Rafael Bianciotto : Oui ! même pour la mise en scène d' »ORIGINES » en cours, car c’est un spectacle  qui n’est pas figé, pas symétrique du tout ! Une grande partie du spectacle est improvisé. Je dirais que c’est écrit à 60% avec des textes et mouvements plus ou moins calés. Puis le reste est pure improvisation. Chaque représentation on innove des changements. Et pas de petits changements, mais aussi de nouvelles idées.

Photo Jean-Pierre Merlet
MB : A en croire cette bataille infernale que vos clowns mènent sur scène, la vie est un chantier permanent. Vous êtes d’accord ?

Rafael Bianciotto : Oui, grâce au déséquilibre permanent on cherche l ‘équilibre. Parfois on interroge littéralement le public et on a des réponses qui font changer le spectacle en cours, mais ces réponses nous font réfléchir à la représentation suivante. Comme vous dites : la vie comme notre spectacle c’est le chantier permanent…!

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