Âgée de vingt-cinq ans, Lili Fevre a fait le conservatoire du 10e arrondissement de Paris et prépare aujourd’hui un doctorat à l’université de Paris 3 Sorbonne nouvelle. Ecrivaine, metteuse en scène et chorégraphe, elle a créé en 2014 la compagnie Allone (à lire comme all-one ou comme all-alone). Elle part à la fin du mois pour une résidence d’un mois sur le Manguier, bateau pris dans les glaces arctiques. Voici ses réponses à quelques questions que lui pose la revue Fragile.
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Qu’est-ce qui a suscité votre envie dans ce projet de résidence dans les glaces ? Partez-vous avec l’idée que vous allez apprendre quelque chose là-bas ?
Les images de l’Arctique ont été très présentes dans ma vie, mais leur ancrage dans mes rêves d’enfant leur donnait un goût d’inaccessible. Il y a quelque temps j’ai vu passer un appel à résidence sur les réseaux sociaux. J’ai regardé. J’ai lu. Et mon désir s’est inscrit comme une évidence. La démarche de Philippe Hercher, capitaine du Manguier, à la croisée entre art et écologie, m’a interpellée. Elle est proche de ce que je veux faire et défendre, de la façon dont je veux travailler. Au cœur de ma recherche et de mes créations, il y a les rencontres et la découverte. Le format des résidences permet de s’inscrire dans un lieu et de partager avec les habitants. C’est peut-être pour ça que je l’apprécie particulièrement. Je pense que l’on apprend tout le temps et de chaque voyage, mais je pense aussi que cette expérience aura une force et une importance spéciale.
Cette résidence est atypique et je pars bien sûr avec l’idée de découvrir et d’apprendre de l’ailleurs et surtout des autres. Depuis des nouvelles techniques jusqu’à une nouvelle façon de voir le monde et la vie, une vision différente de l’environnement, une autre perception du temps et de la lumière. Mon deuxième spectacle, Le temps de se dire au revoir, a été créé et joué, dans le cadre de sa programmation dans un festival à Villerville, sur une plage normande. Le contact avec le sable et la réverbération du soleil sur l’eau a modifié mon appréhension des mouvements et a transformé les images que je m’en faisais. C’est là qu’a commencé mon intérêt sur le lien entre l’environnement et la création, l’importance du milieu dans un projet. Je me passionne pour la matière. Le sable modifie le mouvement. Le pied s’y enfonce, la jambe se courbe, les genoux se plient. L’eau imprègne les gestes, alourdit les membres, rend même les chutes fluides. Que fera la glace ? Je suis attirée par la lumière. Le reflet. Les couleurs. Les ombres. La blancheur. Jusqu’aux aurores boréales. Le Groenland, c’est tout à la fois. L’ensemble de ce qui m’interpelle et me motive.
C’est aussi une promesse de possible et d’aventure, expériences majeures pour l’écriture.Travaillant depuis plusieurs années avec de la vidéo (présente dans mon premier spectacle), je suis aussi attirée par les grands espaces et leurs influences sur la création. Je voudrais questionner la profondeur du regard et le possible dans l’immensité. Dépasser l’évidence de l’image pour questionner la silhouette mouvante et atteindre une forme pluridisciplinaire et sensible. L’idée de l’Arctique me permet d’aller plus loin dans ma recherche, de creuser dans ces directions qui m’animent. C’est une occasion unique pour expérimenter, se laisser porter et être inspirée.
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Attendez-vous quelque chose de la fréquentation de vos co-résidents ? Imaginez-vous que puisse s’instaurer une forme de collaboration ?
Ce voyage sera d’abord l’occasion de partager et d’apprendre de leurs pratiques. Il y a tellement de choses que j’ignore, tellement de domaines que je ne connais pas. Nous nous rassemblons autour d’un même lieu, autour d’un même projet et nous sommes rassemblés autour d’une même idée, d’une même volonté et en un sens, autour d’une même vision de la création. Dans ce lieu si particulier, nous faisons tous partie d’une aventure à laquelle nous avons choisi de participer. Je pense que les conditions et la proximité dans laquelle nous allons vivre seront à l’origine de beaux moments d’échange. Et je reste ouverte à des nouveaux projets et de nouvelles idées qui pourraient naître de ces rencontres et peut-être d’un désir de collaboration.
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Avez-vous des inquiétudes, des peurs, ou les super-pouvoirs dont vous êtes douée excluent-ils par avance toute incertitude ?
Je pense que toutes les grandes aventures commencent par de l’appréhension. Mais tant que la peur ne nous empêche pas de faire, je ne pense pas que ce soit nécessairement une mauvaise chose. Si elle permet la prudence sans entraver les rêves, peut-être peut-elle même être positive. J’appréhende le froid et les conditions de vie dans un milieu considéré comme hostile. J’appréhende surtout, et comme au début de chaque projet, la réalisation de celui-ci. Arriver non pas à un résultat mais à l’aboutissement d’une recherche ou d’une idée. Mais ce qui est beau dans ce projet, ce qui le rend fort, c’est que l’envie et l’enthousiasme dépassent de très loin la peur, l’appréhension ou l’inquiétude. J’ai hâte de partir !
Lire aussi: Cap sur l’Arctique! , Aventure artitique dans les Glaces.
A suivre, donc…
Y aura-t-il sur Fragile quelques notes vives de l’expérience en cours pour chaque artiste, et pê pour le capitaine?