« Nous avons montré, dans l’appendice de la première partie, que la nature n’agit pas en vue d’une fin ; car cet étant éternel et infini que nous appelons dieu, autrement dit la nature (Deus sive Natura), agit avec la même nécessité par laquelle il existe. »

La préface de la part.4 d’Éthique, qui nous emporte dans un raisonnement rapide et puissant comme le cours d’un grand fleuve, est (comme l’appendice part.1 mentionné) un grand moment de la philosophie.

Deus sive Natura

Trois mots qui ont fait couler encre et salive. Déjà séparément, dieu et nature en comptent des océans à leur actif, dans des livres philosophiques ou pas, des lieux communs ou pas. Ils ont fait couler aussi d’autres liquides moins anodins, sueur, sang. Dans l’Éthique c’est la collision des deux qui fait tilt.

Le petit mot sive (= ou bien, autrement dit) joue la vedette. Rôle rare pour un mot de sa catégorie : conjonctions, prépositions et autres outils qu’on emploie sans y prêter attention.

Il marque l’identité des deux notions, puisqu’elles peuvent être nommées par l’un ou l’autre mot indifféremment. Ou, plutôt qu’identité qui considère un rapport entre essences, il s’agit d’identification. Car si DSN (deussivenatura) « agit par la même nécessité par laquelle il existe », cela signifie :

Dissolutions

  1. DSN n’a d’existence que dans un processus, une dynamique. « L’existence de Dieu et son essence sont une seule même chose. » (part.1 prop.20)
  2. Il s’agit d’un déploiement sans fin aux deux sens, sans terme ni plan/projet préexistant.
  3. Il n’y a personne aux commandes, créateur, démiurge ou quoi que ce soit, qui serait occupé à superviser et ‘providentialiser’ depuis un PC extérieur au réel. Rien d’autre n’est que ce qui est en réalisation dans le processus d’existence.

C’est ainsi que Spinoza dissout la distinction immanence/transcendance. Dieu est soluble dans l’existant nature. D’où parfois le réflexe lexico-pavlovien de lui coller l’étiquette panthéiste. Mais Spinoza était conséquent : il ne se serait pas escrimé à dissoudre l’image anthropomorphe monothéiste, pour la diffracter comme dans un kaléidoscope.

Einstein et Hulot

Sa théorie unisubstantielle n’est pas une métaphysique, mais une physique.

« Par réalité et perfection j’entends la même chose » (part.2 déf.6, et appendice part. 4). Si la nature est par-faite, elle est porteuse par elle-même et elle seule de la potentialité de se réaliser. DSN est sans « arrière-monde », dirait Nietzsche. Mais précisons encore.

La nature selon Spinoza n’est pas à identifier seulement aux choses de la nature, arbres et fleurs, oiseaux et poissons, araignées et mammifères, virus et bactéries, volcans et fleuves, ou encore étoiles et trous noirs, cellules et atomes, ondes et particules. Tout cela elle l’est, étant tout le réel réalisé.

Mais elle est en même temps les lois de la matière, du mouvement, de l’énergie. C’est une fonction nature-espace-temps, en permanente potentialité de réaliser du réel. Disons que Spinoza synthétise les points de vue d’Albert Einstein et de Nicolas Hulot.

Remarquons cependant qu’il voit plutôt les choses à la façon d’Einstein.

Nobody’s perfect.

Photo par MLWatts — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=46079100

4 Commentaires

  • Laure-Anne Fillias-Bensussan dit :

    Personnellement, j’aime autant qu’il soit Einstein qu’Hulot, sauf le respect de ce dernier… Le réalisé clos ne nous laisserait que peu d’espace aux entournures, les possibles des élans nous laissent espérer d’autres vies que la nôtre…

  • Ariane dit :

    Oui c’est vrai. Néanmoins j’ai fait de l’ironie un peu facile envers Monsieur Hulot (l’ironie facile est dans mon conatus je crains). D’abord il a peut être des lumières sur la relativité généralisée (plus que moi en tous cas, pas difficile). Et puis il est de ces voix qui appellent à la responsabilité écologique et sociale. Autrement dit à actualiser la generositas. Et par les temps qui courent, c’est pas du luxe.

  • clodoweg dit :

    C’est insolite d’affirmer l’identité d’un objet physique ( la réalité) et d’un objet métaphysique (la perfection).
    Et pourtant ça se tient puisqu’il n’y a rien au delà de la réalité.
    Est-ce que, outre la religion, la pensée de Spinoza est-elle une entreprise de démolition de la Métaphysique ?

    • Ariane dit :

      Pour ma part je le pense. Sauf que plutôt que « démolition » je dirais « mise en évidence de l’insignifiance » (et d’ailleurs en fait je le dis dans l’article suivant OPNI)

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